pour un voyage sympa et écolo !
Aux ânes, et caetera...
10 MARS 2009
photos: cc boklm
texte: Didier Arnaud
Ca fait des années qu’ils nous parlent de ça. «Aux ânes, on a fait ci. Aux ânes, on a fait ça. Quand on était aux ânes». Ils bivouaquent dans la nature, se lavent dans les ruisseaux. Ils avalent leur pitance qu’ils font chauffer sur des réchauds. Et surtout, surtout, ils sont avec les ânes, au rythme des ânes. Leur rengaine d’une semaine de cinq jours. Bâter, marcher, débâter. Et puis «Miam-Miam, Dodo», comme le dit la brochure. Quinze bornes par ci, vingt autres par là, en ration quotidienne, là où les voitures ne vont pas. L’an, dernier en juillet, nous sommes donc partis avec ces amis des baudets: Quatre adultes, huit enfants de deux à douze ans, un combi VW pour faire voiture-balai, et puis Noé et Castor.
Les ânes
Ils ont douze et quinze ans. Ce sont des ânes communs. Gris, oreilles
qui montent, oreilles qui descendent, c’est selon. On les a loués à
Saint Cirque en montagne, en Ardèche. Fernand, un hollandais sympa
installé dans ce gîte qui s’appelle «Etats d’ânes» nous apprend tout
sur comment atteler, équilibrer les charges et passer la pommade: l’un
des animaux est blessé à la jambe, il s’est ouvert sur un barbelé .
Quatre sacoches en cuir marron passent à la pesée. Treize kilos à
droite, quinze à gauche. On ne doit pas dépasser les vingt. Dans les
descentes, il faut bien surveiller «le slip», cette lanière qui passe
sous la queue de l’âne, qu’il ne remonte pas trop, pour ne pas empêcher
l’animal en cas de besoin. Pour l’heure, ce sont les enfants qui
préoccupent. Au gîte, un couple part juste avant nous. La petite fille
n’est pas sage. Il fait un soleil de plomb. La mère menace : «Traverse la route avec nous. Ou je te mets dans la voiture et je ferme, je pars sans toi». On oblige Emile, cinq ans, à se mettre à l’ombre. «Y a des mouches à l’ombre», répond Emile. L’ennui avec les ânes, ce sont les mouches. Et les taons, qui parfois piquent.
L’âme des ânes
Il s’appelle Rémi. C’est lui qui trace la route. Il a ça dans le sang.
Le kayak dans les torrents, les marches dans l’Atlas, la rando qui
s’éternise, les enfants qui crèvent la dalle et lui qui prône l’ascèse.
«Enlevez-vous donc cette idée de la faim»,
dit-il parfois aux enfants qui le regardent ahuris. Bref, un personnage
charismatique. Mais revenons aux ânes. Fernand, qui connaît bien Rémi,
nous les a bien choisis. Ils sourient même en montrant les dents : «elles sont jaunes, c’est dégueu»
dit Jules, 12 ans. Ils crottent : les enfants hurlent «ah». Ils
écrasent leurs pieds. Les enfants font «ouille». Ils agitent leur queue
pour éloigner les bestioles, ça claque le visage de la petite fille : «il t’a pris pour une mouche», lui dit son père. Ils déroulent leur imposant attribut: «ça va faire des jaloux»
nargue Paul, 12 ans. En monopolisant toutes les attentions, les ânes
font oublier ce calvaire enfantin : marcher quand on est fatigués.
On traverse un paysage de genêts. Quand l’âne s’arrête pour brouter, on
dit qu’il est buté. Doit-on alors manier la badine ou simplement donner
de la voix? Les hommes, paraît-il, sont plus badines que les femmes.
Sur la Nationale qui passe au col de la Chavade, Noé a stoppé net. Un
camion passait. Joseph, deux ans, était sur son dos. La mère de Joseph
a hurlé. Et l’âne a filé doux. Les petits ont marché plus de quatre
heures. Environ quinze kilomètres. Paul, 12 ans, a dit : «De ma vie, j’ai jamais fait de promenade aussi longue». On campe au bord d’une rivière et d’un pont de pierre, magnifique. Ils annoncent du mauvais temps pour demain.
Deuxième jour, l’orage
Aujourd’hui, Rémi a prévu une étape tranquille. «Une étape tranquille, c’est au moins 20 kilomètres avec lui»,
traduit Lucien, 12 ans. Vers seize heures, le ciel se couvre. Noir. La
météo dit vigilance jaune. Angèle, 13 ans : «jaune, c’est quand les
rivières débordent». On croise cinq bonshommes en slip moule-boules sur
la route. Ils viennent de descendre un canyon. Ils savent tout des «épisodes cévenols».
Où l’eau monte à toute allure. On frissonne. On décide d’aller chercher
tout de suite un endroit pour bivouaquer. Rémi reste avec les ânes et
la petite troupe. Il fait une drôle de tête, Rémi, il est un peu rouge.
On se demande si c’est la peur. «Le problème des journalistes, c’est qu’ils interprètent toujours trop vite»,
grommelle Rémi après coup. L’orage, aussi, est allé très vite. Gros
grêlons qui font mal à la tête. Pluie diluvienne. Les enfants, eux, ont
eu très peur. Ils se sont mis en travers de la gorge, sous un arbre.
L’une a pleuré. L’autre a cru qu’ils allaient y passer. Les deux ânes
sont restés stoïques. Ils ont juste fermé les yeux. Après coup Lucien
dira : «sous l’arbre, il n’y avait pas d’ambiance». Tout le
monde est trempé. Les orages devraient reprendre la nuit. Au gîte
rural, il y a Guy qui a pitié des enfants trempés. Il propose de
libérer une partie de la maison pour les naufragés. Le soir, c’est
l’apéro et tout le village passe.
Chemins escarpés, au troisième jour. On attaque les montées un peu
raides et les descentes qui vont avec. L’âne trébuche, l’âne évite une
pierre, l’âne fait son chemin tout seul, l’âne ne veut pas traverser la
pont, il a un problème avec l’eau. L’âne pousse son meneur vers le
ravin, l’écrase contre le mur. On ne peut l’éviter, on se raccroche aux
branches. A Borne, village perché et isolé, on croise une vieille dame
en blouse qui n’a jamais quitté les lieux. Elle nous explique : «les jeunes ils sont partis, les vieux, ils sont au cimetière, et moi je reste là».
A Borne en ruine, on rencontre un couple vivant dans une yourte. Elle a
une jupe qu’on dirait faite par elle, il est assis et repique les
plants. Ils font des plantes médicinales et des boutures de mûre et de
cassis. Ils se sont installés en août dernier. Ils ont deux magnifiques
mules, pour les conduire à leur voiture, à trois quarts d’heure de
marche de là. L’hiver elles leur tiennent compagnie. Les mules, Sarah
les range quand passent les ânes. Dans la montée vers Saint-Laurent les
Bains, il y a des framboisiers sauvages. Dans le village, le soleil
éclaire la place.
Les ânes forcent la rencontre
Des gamins nous suivent de loin en criant des Hi-han. Les ânes attirent
les confidences, forcent la conversation. A Saint-Laurent, l’épicière
va leur chercher des carottes et les embrasse longuement. «Elles sont dures à manier les bêtes», dit un paysan qui nous regarde passer, pensif. Les enfants d’un automobiliste demandent: «ils n’ont pas de maisons?»
Ce soir, bivouac près de la Bastide. Stevenson y est passé le 26
septembre 1878. Il a dormi à l’abbaye Notre-dame-des Neiges. Son
périple avait duré onze jours. Il a parcouru 252 kilomètres. Le pays
fête son 130e anniversaire. En 1998, il y avait eu l’élection de Miss
Modestine. Modestine, c’est le nom de l’ânesse de Stevenson.
Dernier jour. De La Bastide au col de la chavade. Forêt de bouleaux
puis de hêtres. Les ânes avancent tout seuls, leur longe accrochée sur
le bât, pour qu’ils ne se prennent pas les pieds dedans. Ils se
dépassent l’un l’autre. On entend un bruit sourd, qui revient à
intervalle régulier, on croit que c’est un quad. C’est une éolienne. Il
y a des fraises des bois qui ont le goût des fraises des bois. On s’est
un peu trompés sur cette portion. Un couple isolé dans une belle maison
nous indique le chemin du col. L’homme nous dit que le chemin n’est pas
très en état. Arbres couchés, passages marécageux. La descente est
excitante, c’est moins balisé, on se prend pour des aventuriers, on les
encourage de la voix. Les ânes évitent les obstacles, on dirait qu’ils
s’amusent aussi. Ils sentent la fin? Le soir, ils sortent de leur
enclos. Il faut les récupérer. «Tu les vois, demande Dorine, il y a leurs yeux qui brillent dans la nuit».
Facture des ânes : 385 euros pour cinq jours, clôture électrique
portable qui permet de retrouver les bêtes chaque matin, 25 euros.
... Pour une rando itinérante dans l'Esterel ou l'arrière pays avec un RdV à Escragnolles en Juin !
et pour débroussailler sans pollutions en évitant l'érosion des sols.